1929 Great Depression Cold Case 9 : 1923-1924. Internationalisme ou protectionnisme ??

08/10/2020

Alors qu'il mettait une ardeur peu commune au développement de son réseau à l'international , c'était au sein même de son propre pays que l'horizon semblait devoir s'obscurcir et que l'internationalisme si cher à Norman était le plus critiqué.


Bien que le taux d'escompte ait été relevé à 4% afin d'essayer de tenir la valeur de la livre celle-ci glissait. Pire que tout , le chomage était important (> 1 million chomeurs) et l'opinion publique Anglaise partageait de plus en plus la vision qu'un taux d'escompte élevé générait la stagnation industrielle. Il devenait politiquement de plus en plus difficile d'utiliser l'augmentation du taux d'escompte afin de renchérir la valeur externe de la livre .

Lors d'un meeting de l'executive comittee de la Federation British Industries en Juillet 1923 , fédération  qui représentait bien évidemment les intérêts des industriels Anglais il fût proposé qu'une enquête soit diligentée sur les aspects monétaires car il était temps que l'avis des industriels soit considéré. Le pays avait jusqu'ici vécu sous les théories monétaires du Trésor qui ne semblaient qu'apporter chômage et stagnation.


Du coté du parti Libéral des évolutions économiques étaient envisagées . Cette agitation intellectuelle ne semblait pas devoir se calmer d'autant plus que JM Keynes, un économiste en vue de Cambridge qui avait travaillé pour le Trésor pendant la guerre , qui était considéré comme l'un des esprits les plus brillants de l'époque et qui avait un don certain pour attirer l'attention proclamait les avantages d'adopter un système de monnaie dirigée. Sa pensée pouvant être résumé un peu caricaturalement de la sorte :

L'Angleterre devait coute que coute sauvegarder son indépendance et la société libérale en basculant d'un internationalisme extrême vers une économie plus activement managée

Pour l'Angleterre , retourner au gold standard dans les conditions d'alors , serait l'équivalent pour Keynes de donner les clés du contrôle de l'économie Anglaise aux autorités de la FED Américaine , qui , même si elles étaient pleines de bonne intentions , auraient bien des difficultés à contrôler les sauvages fluctuations des prix (fluctuations des prix qui étaient le propre de ce nouveau pays). L'Angleterre serait constamment face à une crise sociale et économique. Comme il l'expliqua dans A Tract on Monetary Reform en Octobre 1923 , l'ancien gold standard automatique basé sur l'or était une chose du passé l'or une relique Barbare . Personne ne pouvait imaginer encore que de laisser les prix être le jeu du flux et reflux des  vagues d'or était moderne , c'était dépassé selon Keynes.


Les voix dissonantes commençaient à se faire entendre d'autant plus que Baldwin , qui avait remplacé Bonar Law en tant que premier ministre (Bonar Law était décédé en Octobre 1923) en Angleterre commençait à remettre en question la politique fiscale (il voulait protéger le marché intérieur) . Il s'était engagé à ne pas le faire sans devoir repasser par une élection . Une élection anticipée devint donc inévitable..... qui amena l'arrivée du premier gouvernement Labour au pouvoir de l'histoire Anglaise.... Une révolution.

Inutile de préciser que vue de la City les rouges étaient dans la place et que pour Norman la catastrophe n'était pas loin , il confia d'ailleurs à son secrétaire particulier EHD Skinner « This means the beginning of the end of all the work we have been doing » (Boyle , Montagu Norman 166). 

Dans la City qui avait subi de si nombreuses critiques ces derniers temps on était pas loin de la panique , Norman le 14 Janvier 1924 , à sa manière , c'est-à-dire comme de bien souvent dans l'ombre ou presque ,avisa les banquiers sans publicité qu'il mettait fin immédiatement aux restrictions pour les prêts à l'étranger. Décision bien extraordinaire puisque la livre était à son plus bas niveau depuis 1922 et qu'elle continuait à se déprécier. L'explication la plus plausible étant que cette décision fût prise pour permettre aux investisseurs d'échapper à une taxe sur le capital que le Labour envisageait.

La panique fût cependant de courte durée, lors de sa première audience auprés du roi , Mac Donald le nouveau premier ministre Labour affirma qu'il n'était pas question d'une taxe sur le capital. C'était de plus sans compter sans le magnétisme de Norman . Snowden ,le nouveau chancelier de l'échiquier était en effet absolument fasciné par Norman et tout à fait enthousiaste des efforts déployés par ce dernier pour tenter de reconstruire le gold standard. Il se fiait , afin d'avoir un second éclairage à Otto Niemeyer du Trésor, sur les questions économiques . Aussi lorsque la Federation of British Industries pris le parti de privilégier de défendre la stabilité des prix vis-à-vis la stabilité de la monnaie , et que Niemeyer utilisant sa force de persuasion agressive lui suggéra que ce n'était pas possible sans l'absence de la discipline du gold standard . Sans ce dernier L'Angleterre devrait subir une inflation galopante. Il n'y avait qu'à regarder ce qui se passait en Allemagne et en Russie . Les affres étaient tellement grands qu'il ne fallait pas plus pour convaincre un non initié d'écouter les 2 spécialistes qu'étaient Norman et Niemeyer et de renforcer son opinion sur Norman. Il y avait de plus un argument quelque peu massue utilisé par Niemeyer , le spectre de l'Empire Britannique devant se disloquer et se lier au dollar. Force est de constater que lorsque l'Afrique du Sud nomma une commission présidée par Edwin Kemmerer (un économiste Anglais) qui recommanda le retour à l'or le risque n'était pas nul.

L'ennui du retour à l'or c'était qu'il ne fut envisagé par les instances économiques Anglaises qu'à un seul taux , celui d'avant guerre 1£= 4,86 $ et on en était loin. L'un des plans Anglais tout à fait notable , car il mettait bien en lumière la stratégie Anglaise , était celui de forcer l'inflation aux USA en leur faisant parvenir de l'or. L'objectif était de renforcer la balance commerciale Anglaise et permettre la base d'une augmentation de la valeur de la
livre en dollars (Finance and Empire Roberta Allbert Dayer p 157). Norman, pensait qu'il était nécessaire d'établir à New York une réserve d'or pour les paiements de la dette Anglaise. Mais pour expédier une grande quantité d'or (de l'ordre de 100 millions £ ) aux USA , Norman proposa d'amalgamer les billets de la banque d'Angleterre et les Treasury Notes. Le calcul était relativement simple. Entre la Banque et le Trésor les réserves d'or étaient de 153 millions £, elles servaient en partie comme couverture de l'émission des 2 types de billets, le reste de la couverture étant des titres d'état, qui représentait la partie « Fiduciaire » de chaque émission. Il existait des limites très strictes à la partie Fiduciaire des 2 émissions, sous la charte bancaire de 1844 pour l'émission de la Banque et sous le Compte rendu du Trésor du 15 Décembre 1919 (la limite Cunliffe) pour les Treasury notes. La somme de ces 2 limites s'établissait à 290 millions £ avec les 153 millions £ d'or , l'émission maximum était de 443 millions £. Si 100 millions £ d'or était expédié il faudrait donc augmenter la partie fiduciaire

Etrange plan que ce dernier qui illustrait cependant bien la fameuse tactique British : 

  • · sous l'égide d'un comité secret
  • · L'Angleterre tentait de solutionner ses problêmes en exportant les soucis chez le rival

Ce plan ne fût pas mis en application , cependant il avait été fomenté au sein de la Banque d'Angleterre ce qui commence à éclairer la psychologie de Norman . Aux USA , qui étaient déjà saturés d'or, les prix n'augmentaient pas, rajouter de l'or pouvait ne pas avoir l'effet escompté , mais surtout les implications d'une réforme monétaire qu'il induisait (changer la limite Cunliffe) permettait d'offrir une plateforme pour tous les adeptes d'une monnaie dirigée (The Bank of ENgland , Sayers 128-129)


Entre en scène Hjalmar Schacht,

A la fin de 1923 , un personnage bien enigmatique entre  sur la scène internationale du central Banking : Hjalmar Schacht.



D'une apparence physique bien singulière , il se démarquait par une vanité extrême. Ayant une confiance absolue en lui-même ce qui s'apparentait pour les personnes qui l'approchaient de prés à une arrogance hors norme, il gravit les échelons de la société Allemande et avait appris que dans un monde hostile il ne pouvait compter que sur lui-même et son travail.

Au sortir de la guerre il n'était qu'un banquier parmi tant d'autres, c'est alors qu'il recruta en 1918 pour sa banque Jacob Goldschmitt , un courtier en bourse . Ce dernier avait le don de dénicher les bons deals et jouant le marché avec des gros montants issus de la banque tout en réalisant des fusions est acquisition bien à propos il réussît à transformer la banque dans lequel il était employé en la 3eme du pays (DanatBank). En 1923 Schacht se trouvait propulsé à l'échelon supérieur de la société Allemande , il faisait désormais partie des strates dirigeantes de l'establishment bancaire de Berlin. Il était cependant quelque peu frustré par le
fait que Goldschmitt puisse lui faire de l'ombre . Il était temps de trouver un challenge qui puisse satisfaire ses aspirations et lui permettre de toucher à la politique qu'il appréciait , mais en tant qu'acteur . Ecrivant des articles dans le Berliner Tageblatt et le Vossische Zeitung, il avait développé une réputation d'expert sur les réparations Allemandes , défendant la thèse que l'Allemagne ne pouvait et de ne devait pas payer plus qu'un montant de $200 million par an , équivalent d'un montant de réparations de $4 milliards, le 1/3 de ce qui avait été discuté à Londres en 1921 . Expert sur les réparations , gros travailleur , fortuné , cotoyant les milieux bancaires et particulièrement désireux d'entrer dans la vie publique il cochait beaucoup de case pour la mission qui allait lui être confié. Liaquat Ahamed. Lords of Finance: The Bankers Who Broke the World (chapitre 7 et 10)

Le plan pour stopper les vicissitudes Allemandes de l'hyperinflation prévoyait la création d'une banques la Rentenbank, sous tutelle de la Reichsbank (banque centrale Allemande) , Elle disposait d'un capital de 3,2 milliards de Rentenmark, le Rentenmark devant devenir un mark fondé sur l'or, mais en étant garanti par une hypothèque sur l'économie, l'immobilier et le sol allemands. Dans ce plan Schacht fût nommé au poste de Commissaire à la monnaie de la république de Weimar , il accepta cette fonction en précisant que la seule solution envisageable était une monnaie fondée sur l'or que seule la Reichsbank pourrait mettre en place. Il estimait que l'hypothèque sur laquelle reposait le Rentenmark n'était pas une garantie stable car la valeur d'un bien pouvait fortement varier et il publia le 10 octobre 1923 une projet de loi introduisant une monnaie or.

Pour Schacht, le poste de commissaire était néanmoins un tremplin vers la présidence de la banque centrale. Alors que l'introduction du Rentenmark semblait réussie, Havenstein (le président de la banque centrale Allemande) décèda le 20 novembre . Pour un ambitieux comme Shacht , l'occasion était belle et même si certains milieux étaient contre sa candidature et si les directeurs de la banque centrale estimaient qu'il avait une expérience de banque de crédit et non de banque d'émission et ne voyaient pas en lui la « force constructrice » (schöpferische Kraft) nécessaire au redressement de la monnaie c'est surtout qu' ils jugaient qu'il était « moralement » disqualifié : son expérience bruxelloise de 1919 fut à nouveau mise en avant. Pour les directeurs, le Président de la Reichsbank devait avoir un passé irréprochable pour bénéficier de la confiance du peuple. Il fût cependant nommé directeur de la banque centrale et son premier acte fût de..... partir pour Londres.......... Montagu Norman semblait devoir être la solution envisagée par Schacht pour les maux Allemands.


Du coté de l'Anglais en tout cas , rien n'était mis de coté pour séduire son interlocuteur. Il commença par accueillir l'Allemand sur le quai de la gare dés son arrivée à Londres le 31 Décembre 1923 , ce qui impressionna Schacht. Il l'invita le lendemain , le jour de l'an , à la banque d'Angleterre. L'Allemand qui était pourtant connu pour sa capacité de travail fut quelque peu époustouflé que Norman puisse travailler le jour de l'an . La volonté clairement affiché de Norman était de faire de Schacht un ami. La rencontre tourna autour de la monnaie Allemande et de savoir si Schacht attendait les conclusions du comité Dawes qui s'annonçait
ou si il avait déjà un plan.

Schacht avait bien évidemment un plan :

  1. Obtenir des crédits étrangers

  2. Créer une banque la Golddiskontbank, une seconde banque de Crédit en plus de la Reichsbank, basée uniquement sur l'or

  3.  Faire capoter le projet naissant de banque d'émission Rhénane

Ce plan particulièrement séduisant pour Norman englobait l'ensemble des éléments chers à ce dernier . L'or , la coopération entre banque centrales en ayant comme objectif caché le
retour de la puissance économique Anglaise.

Schacht envisageait en effet cette banque afin de financer les industries exportatrices de Rhénanie. Les lettres de change qu'accepterait cette banque seraient des lettres de changes présentées sur le marché de Londres ,enfin cette banque d'émission qui émettrait des billets basés sur son capital en or seraient des .... Livres Sterling . Si cela n'était pas suffisant pour convaincre Norman , Schacht lui joua le couplet de la coopération économique entre les 2 puissances et de l'affranchissement du politique pour obtenir la paix......(My First Seventy six Years the AUtobiography of Hjalmar Schacht p196-197). C'était précher à un convaincu .

Le fait de vouloir torpiller le projet de banque d'émission Rhénane est particulièrement illustratif des enjeux stratégiques derrière les relations interpersonnelles.

Montagu Norman avait reçu une lettre de Paribas qui voulait prendre contact avec des banques britanniques désirant participer à ce projet de banque centrale rhénane . Pour
Schacht la banque d'émission Rhénane cassait l'unité allemande, Pour Norman il y avait  danger de domination Française en Rhénanie. Norman en tuant la banque Rhénane refusa le
soutien à l'initiative Française. A la fin des entrevues entre Norman et Schacht, le premier accepta le projet du Président de la Reichsbank, dont les détails étaient encore flous. Cet accord marqua le début d'une coopération entre la banque centrale Allemande et l'Anglaise , le début de l'amitié entre Norman et Schacht

Frederic Clavert. Hjalmar Schacht, Financier et diplomate (1930-1950). Histoire. Universite Strasbourg III, 2006 page 42-45


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