1929, Great Depression Cold Case 4 : Coopération ou compétition telle est la question ?

20/07/2020

Il est un constat de plus en plus partagé, que ce soit par de nombreux intellectuels , il suffit de voir le nombre d'ouvrages sur le sujet , mais aussi désormais par une grande partie de la population : la lutte pour l'hégémonie mondiale est désormais patente. Nous sommes témoins par l'entremise d'une actualité relativement brûlante de la confrontation des deux puissances que sont les USA et la Chine. Pas une semaine ne se passe sans que l'on puisse lire ou entendre une nouvelle qui a trait à ce sujet . De la à dire que tous les coups sont permis en serait presque un euphémisme mais l'on peut cependant constater que les terrains d'affrontement semblent être aussi multiples que divers . D'Hong Kong en passant par la mer de Chine du virus aux investissements mondiaux la confrontation fait rage

Ce qui l'est moins , tout du moins pour ceux et celles pour qui cette période de l'histoire n'a pas forcément un intérêt particulier , c'est qu'une lutte similaire pour le leadership mondial a existé à l'époque de l'entre deux guerres (Anglo-American Relations in the 1920s Edited by BJC Mc Kercher p 13)

 La patine de l'histoire aidant , le fait que les puissances concernées (la Grande Bretagne et les USA) soient relativement proches culturellement, que leurs citoyens parlent la même langue , qu'elles aient fait cause commune lors de la seconde guerre mondiale fait que cet éclairage de l'histoire pourtant crucial pour bien appréhender les événements d'alors puisse paraître quelque peu suranné et pourtant... Cette approche qui met en exergue une lutte pour la suprématie mondiale est en effet une grille de lecture des événements qui amène un éclairage particulièrement intéressant.

Ce que je vais tenter de vous montrer c'est qu'il existe une probabilité non nulle comme disent les mathématiciens que cela soit la cause principale des événements tragiques de 1929 et de la grande dépression qui s'ensuit. De la à extrapoler le même raisonnement à notre époque je n'irai certes pas jusque-là , ma modeste contribution étant de présenter les éléments historiques de façon nouvelle mais la tentation n'est pas si éloignée après tout.

En 1919 le système économique mondial était en pièce et le soucis majeur pour les leaders politiques et économiques de l'époque c'était de revenir au système de commerce et de crédit d'avant la guerre . La grande majorité défendait la thèse qu'il fallait que le contrôle gouvernemental de l'économie et des affaires financières qui avait été utilisé pendant la guerre prenne fin. Un contrôle privé de l'économie cependant ne voulait pas dire la même chose aux USA et en Angleterre.

D'un coté , celui de l'Angleterre, des années d'administration des problèmes financiers d'un Empire colonial par des officiels qui travaillaient relativement en harmonie , ou du moins qui avaient l'habitude de se côtoyer et de réaliser des échanges quasi quotidien parmi les 3 centres de la puissance financière qu'étaient le Trésor , la Banque d'Angleterre et la City de Londres. Issus des même écoles (Oxford , Cambridge) ce corps de spécialistes se partageaient l'expertise dans des domaines hautement technique de la monnaie , des échanges , des actions et obligations , des dettes gouvernementales . Ils proposaient aux gouvernements respectifs, les leaders politiques allant et venant au gré des tendances , une continuité. Les noms de Sir Otto Niemeyer, Ralph Hawtrey , Frederik Leith Ross etc.. faisaient partie du cénacle des officiels permanents, ils ne partageaient qu'un seul objectif : la défense de l'Empire. 

De l'autre , celui des USA , une expertise bien moindre, tout du moins du coté du trésor . A Washington la tradition impériale n'existait pas, de plus les officiels du Trésor ne faisaient que passer pour aller rejoindre au plus vite les rangs plus rémunérateurs des banques « privées » en particulier de JP Morgan. Le résultat de ces différences étaient que les Anglais se sentaient infiniment supérieurs à leur homologues Américains les considérant comme naïfs et inexpérimentés ce qui exacerbait l'inimitié latente entre les 2 blocs. 

Du coté de la Fed cependant , un homme Benjamin Strong (gouverneur de la Fed de New York pendant 14 ans de 1914 à 1928) avait prit le leadership du système . Homme d'action aux compétences tout à fait reconnues, il avait contracté la tuberculose en 1916 et en mourut en 1928 à l'age de 55 ans des suites de complications . Il fût le pendant de Montagu Norman aux USA , devant lutter probablement plus que ce dernier contre une opposition liée à l'organisation du système de la Fed et de la politique Américaine . Ce personnage pivot de l'histoire économique américaine aurait très probablement pu changer le cours de l'histoire de la grande dépression comme le mentionne Milton Friedman dans sa monumentale œuvre A monetary History of the USA 1867-1960 P692 .

Benjamin Strong , Fed of New york governor

C'est dans ce contexte que Montagu Norman fût nommé gouverneur de la Banque centrale Anglaise en Mars 1920. Alors qu'un système de rotation avait été jusqu'alors utilisé tous les 2 ans pour cette fonction il réussit le tour de force d'y rester 24 ans (Finance and Empire Sir Charles Addis 1861- 1945 de Roberta Allbert Dayer Part II page 109-117) Il transforma la fonction , déployant une autorité bien plus importante que ne le firent ses prédécesseurs tout en utilisant des méthodes tout à fait personnelles. Secret et autocratique , usant et abusant d'un charisme magnétique Montagu Norman avait la particularité d'éviter le conflit tout en manipulant ses interlocuteurs . La stratégie elle était claire : la préservation du free trade , la restauration du gold standard et le retour du contrôle exclusif de la banque d'Angleterre sur les affaires monétaires. Accompagné dans cette tache quasi mystique par de fidèles lieutenants dont Charles Addis la ligne partagée était :

La Grande Bretagne se devait de revenir à la position pré guerre de leader financier du monde du centre du commerce mondial en gagnant la confiance de la communauté financière internationale .


Pour cela , la déflation était le maître mot , il fallait réduire . Réduction des dépenses gouvernementales , baisse des prix et des salaires , ce furent d'ailleurs les recommandations du Comité Cunliffe de 1919 , du nom d'un ancien gouverneur de la banque d'Angleterre. L'élément clé de cette stratégie était de convaincre l'Amérique d'utiliser son surplus de capital de façon coopérative plus que compétitive , car comme je vous l'ai déjà présenté précédemment la première guerre mondiale avait opéré une bascule de la puissance financière mondiale vers les USA : Le capital était aux USA.

En théorie l'émergence Américaine en tant que créditeur mondial aurait du faire que ce pays puisse assumer le rôle de l'Angleterre d'avant la première guerre mondiale . Mais alors que les leaders Américains étaient impatients de tester leur nouvelle puissance, ils étaient inexpérimentés et quelque peu réticents à assumer les responsabilités qu'entrainaient cette puissance . Cette réticence était en partie politique , elle reflétait la nature du système américain de gouvernement , mais ce sentiment isolationniste provenait surtout de la désillusion issue de l'idéalisme Wilsonnien qui s'étiolait. Le congrès et l'opinion publique américaine devinrent de plus en plus suspicieux sur les sujets politiques Européens. L'humiliante défaite du président Wilson face au congrès , ainsi que la victoire du républicain Harding à l'élection de 1920 , initia une période de faiblesse de l’exécutif Américain.

Le sujet des dettes de guerre et des réparations devint alors une des raisons de l'inimitié profonde entre les USA et la GB . 

La proposition Anglaise lors de la conférence de la paix de Paris en 1919 d'annuler ces dettes inter alliés étant refusée par la délégation Américaine fût aussi un moyen de montrer la détermination de l'Amérique d'imposer sa dominance sur l'Angleterre. Washington de plus refusait catégoriquement d'établir une quelconque relation entre les réparations et les dettes de guerre . Même si cette attitude pouvait paraître aussi peu raisonnable qu'illogique d'un point de vue international , elle pouvait se comprendre cependant d'un point de vue purement national . La communauté financière Américaine forte de sa puissance financière n'avait d'yeux que pour le financement de la reconstruction de l'Allemagne. L'octroi de prêts à cette dernière était un moyen de supplanter l'Angleterre comme première puissance mondiale. Aussi fallait il qu'il y aient quelques sécurités sur les ressources Allemandes... on ne prête pas sans quelques garanties quand même. IL était par conséquent important que ces ressources ne soient pas gagées sur les réparations dues aux autres pays..... Pour les Américains les dettes devaient être financées à partir de nouvelles ressources (Dayer , Bankers and Diplomats ch 4).

Le raisonnement Américain était que si les citoyens Britanniques devaient payer des impôts pour financer les dettes de guerre , ces impôts rendraient le prix des bien Anglais plus chers et donc moins compétitifs. Bien évidemment Norman et le trésor Britannique étaient déterminés à ne pas payer plus pour les dettes de guerre aux USA que ce qu'ils ne recevraient des réparations de guerre.

Derrière ces débats et ces arcanes financières se cachait bel et bien une lutte pour la suprématie financière mondiale. La question navale elle aussi était un sujet éminemment sensible (Anglo-American Relations in the 1920s Edited by BJC Mc Kercher p 83 , P203, P209, P226-231 ). Si tant est qu'une guerre Angleterre -USA ait été imaginé au sein du Foreign office fin 1927 idem P2

Ce qui masqua cette compétition à couteaux tirés entre les 2 puissances d'alors fut la réaffirmation incessante faite par les banquiers Anglais et Américain de la coopération entre les 2 pendant la période de l'entre deux guerres. Ce n'était pas à vrai dire tout à fait non sincère d'ailleurs. Norman et Benjamin Strong (gouverneur de la Fed de New York et leader de la Fed Américaine d'alors) pensaient que la coopération des banques centrales permettrait de remettre sur les rails la reconstruction et la stabilisation financière mondiale.

Malgré leur respect mutuel et leur amitié , comme en témoigne leur correspondance incessante et les nombreuses vacances qu'ils passèrent ensembles , aucun des 2 banquiers centraux ne voulait céder la primauté de sa capitale financière. Bien au contraire chacun voulait établir la monnaie de son pays comme monnaie de référence mondiale , comme unité monétaire de la finance et du commerce mondial .

Le phénomène de retrait gouvernemental de la sphère de la finance internationale évoquée ci-dessus se manifesta pour les USA par l'extension de la dominance de la Banque Morgan sur le crédit mondial. La position de cette dernière qui avait été gagnée pendant la 1er guerre en finançant les puissances alliées fût étendue par la suite . Ses intérêts étaient mondiaux et pas seulement nationaux. Une grande partie des succés de Morgan découlaient de son influence combinée avec le gouvernement Britannique d'un part et de ses liens avec le gouverneur Strong de l'autre (Strong avait été partner chez Morgan).

Les Anglais utilisèrent Morgan comme leur agent fiscal après 1919 en pensant que par ce biais ils réussiraient à faire changer la politique gouvernementale Américaine sur les dettes de guerre, Morgan encourageant ces attentes Anglaises tout au long de la période de l'entre deux guerres tout en bloquant la compétition des autres Banques Américaines d'investissement (Parrini, Heir to empire ch 3)

Drôle d'équipage en vérité que celui constitué par ce triptyque Montagu Norman , JP Morgan , Benjamin Strong au cours des années 20 mêlant à la fois amitiés , intérêts politiques et économiques avec en filigrane la course au leadership mondial . Triptyque constitué de deux piliers Strong , Norman qui représentaient chacun leur nation tandis que JP Morgan établissait un pont entre les deux.

D'autant plus étrange que lorsque 1929 fût venu , de tryptique il n'existait plus. Benjamin Strong était décédé en Octobre 1928, il n'y avait plus qu'un seul maitre à bord du central Banking ....  

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